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.) Je t aime&MÉLISANDE, à voix basse : Je t aime aussi&PELLÉAS : Oh ! Qu as-tu dit, Mélisande !& Je ne l ai pres-que pas entendu !& On a brisé la glace avec des fers rougis !&Tu dis cela d une voix qui vient du bout du monde !& Je ne t aipresque pas entendue& Tu m aimes ? Tu m aimes aussi ?&Depuis quand m aimes-tu ?MÉLISANDE : Depuis toujours& Depuis que je t ai vu&PELLÉAS : Oh ! comme tu dis cela !& On dirait que ta voixa passé sur la mer du printemps !& je ne l ai jamais entenduejusqu ici& on dirait qu il a plu sur mon cSur ! Tu dis cela sifranchement !& Comme un ange qu on interroge !& Je ne puispas le croire, Mélisande !& Pourquoi m aimerais-tu ? Mais 68 pourquoi m aimes-tu ? Est-ce vrai ce que tu dis ? Tu ne metrompes pas ? Tu ne mens pas un peu, pour me faire sou-rire ?&MÉLISANDE : Non ; je ne mens jamais ; je ne mens qu àton frère&PELLÉAS : Oh ! comme tu dis cela !& Ta voix ! ta voix&Elle est plus fraîche et plus franche que l eau !& On dirait del eau pure sur mes mains& Donne-moi, donne-moi tes mains&Oh ! tes mains sont petites !& Je ne savais pas que tu étais sibelle !& Je n avais jamais rien vu d aussi beau, avant toi&J étais inquiet, je cherchais partout dans la maison& je cher-chais partout dans la campagne& Et je ne trouvais pas la beau-té& Et maintenant je t ai trouvée !& Je t ai trouvée !& Je necrois pas qu il y ait sur la terre une femme plus belle !& Où es-tu ? Je ne t entends plus respirer&MÉLISANDE : C est que je regarde&PELLÉAS : Pourquoi me regardes-tu si gravement ? Nous sommes déjà dans l ombre. Il fait trop noir sous cet ar-bre.Viens dans le lumière.Nous ne pouvons pas combien noussommes heureux.Viens, viens ; il nous reste si peu de temps&MÉLISANDE : Non, non ; restons ici& Je suis plus près detoi dans l obscurité&PELLÉAS : Où sont tes yeux ? Tu ne vas pas me fuir ? Tu ne songes pas à moi en ce moment.MÉLISANDE : Mais si, mais si, je ne songe qu à toi&PELLÉAS : Tu regardais ailleurs&MÉLISANDE : Je te voyais ailleurs& 69 PELLÉAS : Tu es distraite& Qu as-tu donc ? Tu ne mesembles pas heureuse&MÉLISANDE : Si, si ; je suis heureuse, mais je suis triste&PELLÉAS : On est triste, souvent, quand on s aime&MÉLISANDE : Je pleure toujours lorsque je songe à toi&PELLÉAS : Moi aussi& moi aussi, Mélisande& Je suis toutprès de toi ; je pleure de joie et cependant& (Il l embrasse en-core.) Tu es étrange quand je t embrasse ainsi& Tu es si bellequ on dirait que tu vas mourir&MÉLISANDE : Toi aussi&PELLÉAS : Voilà, voilà& Nous ne faisons pas ce que nousvoulons& Je ne t aimais pas la première fois que je t ai vue&MÉLISANDE : Moi non plus& J avais peur&PELLÉAS : Je ne pouvais pas regarder tes yeux& Je voulaism en aller tout de suite& et puis&MÉLISANDE : Moi, je ne voulais pas venir& Je ne sais pasencore pourquoi, j avais peur de venir&PELLÉAS : Il y a tant de choses qu on ne saura jamais&Nous attendons toujours ; et puis& Quel est ce bruit ? Onferme les portes&MÉLISANDE : Oui, on a fermé les portes& 70 PELLÉAS : Nous ne pouvons plus rentrer ! Entends-tules verrous ! Écoute ! écoute !& les grandes chaînes !& Il esttrop tard, il est trop tard !&MÉLISANDE : Tant mieux ! tant mieux ! tant mieux !PELLÉAS : Tu ?& Voilà, voilà !& Ce n est plus nous qui levoulons !& Tout est perdu, tout est sauvé ! tout est sauvé cesoir ! Viens ! viens& Mon cSur bat comme un fou jusqu aufond de ma gorge& (Il l enlace.) Écoute ! écoute ! mon cSur estsur le point de m étrangler& Viens ! Viens !& Ah ! qu il fait beaudans les ténèbres !&MÉLISANDE : Il y a quelqu un derrière nous !&PELLÉAS : Je ne vois personne&MÉLISANDE : J ai entendu du bruit&PELLÉAS : Je n entends que ton cSur dans l obscurité&MÉLISANDE : J ai entendu craquer les feuilles mortes&PELLÉAS : C est le vent qui s est tu tout à coup& Il esttombé pendant que nous nous embrassions&MÉLISANDE : Comme nos ombres sont grandes ce soir !&PELLÉAS : Elles s enlacent jusqu au fond du jardin& Oh !qu elles s embrassent loin de nous !& Regarde ! Regarde !&MÉLISANDE, d une voix étouffée : A-a-h ! Il est derrièreun arbre !PELLÉAS : Qui ? 71 MÉLISANDE : Golaud !PELLÉAS : Golaud ? où donc ? je ne vois rien&MÉLISANDE : Là& au bout de nos ombres&PELLÉAS : Oui, oui ; je l ai vu& Ne nous retournons pasbrusquement&MÉLISANDE : Il a son épée&PELLÉAS : Je n ai pas la mienne&MÉLISANDE : Il a vu que nous nous embrassions&PELLÉAS : Il ne sait pas que nous l avons vu& Ne bougepas ; ne tourne pas la tête& Il se précipiterait& Il restera là tantqu il croira que nous ne savons pas& Il nous observe& Il est en-core immobile& Va-t en, va-t en tout de suite par ici& Jel attendrai& Je l arrêterai&MÉLISANDE : Non, non, non !&PELLÉAS : Va-t en ! va-t en ! Il a tout vu !& Il nous tue-ra !&MÉLISANDE : Tant mieux ! tant mieux ! tant mieux !&PELLÉAS : Il vient ! il vient !& Ta bouche !& Ta bouche !&MÉLISANDE : Oui !& oui !& oui !&Ils s embrassent éperdument
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