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.XVII.DU CAP HORN À L'AMAZONE 110 20000 Lieues sous les mers Part 2Un de nos filets avait rapporté une sorte de raie très aplatie qui, la queue coupée, eût formé un disque parfaitet qui pesait une vingtaine de kilogrammes.Elle était blanche en dessous, rougeâtre en dessus, avec degrandes taches rondes d'un bleu foncé et cerclées de noir, très lisse de peau, et terminée par une nageoirebilobée.Étendue sur la plate-forme, elle se débattait, essayait de se retourner par des mouvements convulsifs,et faisait tant d'efforts qu'un dernier soubresaut allait la précipiter à la mer.Mais Conseil, qui tenait à sonpoisson, se précipita sur lui, et, avant que je ne pusse l'en empêcher, il le saisit à deux mains.Aussitôt, le voilà renversé, les jambes en l'air, paralysé d'une moitié du corps, et criant :« Ah ! mon maître, mon maître ! Venez à moi.»C'était la première fois que le pauvre garçon ne me parlait pas « à la troisième personne ».Le Canadien et moi, nous l'avions relevé, nous le frictionnions à bras raccourcis, et quand il reprit ses sens,cet éternel classificateur murmura d'une voix entrecoupée :« Classe des cartilagineux, ordre des chondroptérygiens, à branchies fixes, sous-ordre des sélaciens, familledes raies, genre des torpilles ! »Oui, mon ami, répondis-je, c'est une torpille qui t'a mis dans ce déplorable état.Ah ! monsieur peut m'en croire, riposta Conseil, mais je me vengerai de cet animal.Et comment ?En le mangeant.»Ce qu'il fit le soir même, mais par pure représaille, car franchement c'était coriace.L'infortuné Conseil s'était attaqué à une torpille de la plus dangereuse espèce, la cumana.Ce bizarre animal,dans un milieu conducteur tel que l'eau, foudroie les poissons à plusieurs mètres de distance, tant est grandela puissance de son organe électrique dont les deux surfaces principales ne mesurent pas moins de vingt-septpieds carrés.Le lendemain, 12 avril, pendant la journée, le Nautilus s'approcha de la côte hollandaise, vers l'embouchuredu Maroni.Là vivaient en famille plusieurs groupes de lamantins.C'étaient des manates qui, comme ledugong et le stellère, appartiennent à l'ordre des syréniens.Ces beaux animaux, paisibles et inoffensifs, longsde six à sept mètres, devaient peser au moins quatre mille kilogrammes.J'appris à Ned Land et à Conseil quela prévoyante nature avait assigné à ces mammifères un tôle important.Ce sont eux, en effet, qui, comme lesphoques, doivent paître les prairies sous-marines et détruire ainsi les agglomérations d'herbes qui obstruentl'embouchure des fleuves tropicaux.« Et savez-vous, ajoutai-je, ce qui s'est produit, depuis que les hommes ont presque entièrement anéanti, cesraces utiles ? C'est que les herbes putréfiées ont empoisonné l'air, et l'air empoisonné, c'est la fièvre jaune quidésole ces admirables contrées.Les végétations vénéneuses se sont multipliées sous ces mers torrides, et lemal s'est irrésistiblement développé depuis l'embouchure du Rio de la Plata jusqu'aux Florides ! »Et s'il faut en croire Toussenel, ce fléau n'est rien encore auprès de celui qui frappera nos descendants,lorsque les mers seront dépeuplées de baleines et de phoques.Alors, encombrées de poulpes, de méduses, decalmars, elles deviendront de vastes foyers d'infection, puisque leurs flots ne posséderont plus « ces vastesestomacs, que Dieu avait chargés d'écumer la surface des mers ».XVII.DU CAP HORN À L'AMAZONE 111 20000 Lieues sous les mers Part 2Cependant, sans dédaigner ces théories, l'équipage du Nautilus s'empara d'une demi-douzaine de manates.Ils'agissait, en effet, d'approvisionner les cambuses d'une chair excellente, supérieure à celle du boeuf et duveau.Cette chasse ne fut pas intéressante.Les manates se laissaient frapper sans se défendre.Plusieursmilliers de kilos de viande, destinée à être séchée, furent emmagasinés à bord.Ce jour-là, une pêche, singulièrement pratiquée, vint encore accroître les réserves du Nautilus, tant ces mersse montraient giboyeuses.Le chalut avait rapporté dans ses mailles un certain nombre de poissons dont la têtese terminait par une plaque ovale à rebords charnus.C'étaient des échénéïdes, de la troisième famille desmalacoptérygiens subbrachiens.Leur disque aplati se compose de lames cartilagineuses transversalesmobiles, entre lesquelles l'animal peut opérer le vide, ce qui lui permet d'adhérer aux objets à la façon d'uneventouse.Le rémora, que j'avais observé dans la Méditerranée, appartient à cette espèce.Mais celui dont il s'agit ici.c'était l'échénélde ostéochère, particulier à cette mer.Nos marins, a mesure qu'ils les prenaient, les déposaientdans des bailles pleines d'eau.La pêche terminée, le Nautilus se rapprocha de la côte.En cet endroit, un certain nombre de tortues marinesdormaient à la surface des flots.Il eût été difficile de s'emparer de ces précieux reptiles, car le moindre bruitles éveille, et leur solide carapace est à l'épreuve du harpon.Mais l'échénéïde devait opérer cette capture avecune sûreté et une précision extraordinaires.Cet animal, en effet, est un hameçon vivant, qui ferait le bonheuret la fortune du naïf pêcheur a la ligne.Les hommes du Naulilus attachèrent à la queue de ces poissons un anneau assez large pour ne pas gêner leursmouvements, et à cet anneau, une longue corde amarrée à bord par l'autre bout
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