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.On vit encore l'agent lancer son pied à toutevolée dans le tas qui gisait à terre.Puis un groupe confus s'agita et sedirigea vers le docteur et son vieil ami.- Circulez ! dit l'agent.Rieux détourna les yeux quand le groupe passa devant lui.Grand et le docteur partirent dans le crépuscule finissant.Commesi l'événement avait secoué la torpeur où s'endormait le quartier, cesrues écartées s'emplissaient [329] à nouveau du bourdonnement d'unefoule en liesse.Au pied de la maison, Grand dit au revoir au docteur.Ilallait travailler.Mais au moment de monter, il lui dit qu'il avait écrit àJeanne et que, maintenant, il était content.Et puis, il avait recommen-cé sa phrase« J'ai supprimé, dit-il, tous les adjectifs.»Et avec un sourire malin, il enleva son chapeau dans un salut céré-monieux.Mais Rieux pensait à Cottard et le bruit sourd des poings quiécrasaient le visage de ce dernier le poursuivait pendant qu'il se diri-geait vers la maison du vieil asthmatique.Peut-être était-il plus dur depenser à un homme coupable qu'à un homme mort.Quand Rieux arriva chez son vieux malade, la nuit avait déjà dévorétout le ciel.De la chambre, on pouvait entendre la rumeur lointaine dela liberté, et le vieux continuait, d'une humeur égale, à transvaser sespois.- Ils ont raison de s'amuser, disait-il, il faut de tout pour faire unmonde.Et votre collègue, docteur, qu'est-ce qu'il devient ?Des détonations arrivaient jusqu'à eux, mais elles étaient pacifi-ques : des enfants faisaient partir leurs pétards.- Il est mort, dit le docteur, en auscultant la poitrine ronflante.- Ah ! fit le vieux, un peu interdit.- De la peste, ajouta Rieux.- Oui, reconnut le vieux après un moment, les meilleurs s'en vont.C'est la vie.Mais c'était un homme qui savait ce qu'il voulait.Albert Camus, LA PESTE (1947)278- Pourquoi dites-vous cela ? dit le docteur qui rangeait son stéthos-cope.- Pour rien.Il ne parlait pas pour ne rien dire.Enfin, [330] moi, ilme plaisait.Mais c'est comme ça.Les autres disent : « C'est la peste,on a eu la peste.» Pour un peu, ils demanderaient à être décorés.Maisqu'est-ce que ça veut dire, la peste ? C'est la vie, et voilà tout.- Faites vos fumigations régulièrement.- Oh ! ne craignez rien.J'en ai encore pour longtemps et je les ver-rai tous mourir.je sais vivre, moi.Des hurlements de joie lui répondirent au loin.Le docteur s'arrêtaau milieu de la chambre.- Cela vous ennuierait-il que j'aille sur la terrasse ?- Mais non.Vous voulez les voir de là-haut, hein ? À votre aise.Maisils sont bien toujours les mêmes.Rieux se dirigea vers l'escalier.- Dites, docteur, c'est vrai qu'ils vont construire un monument auxmorts de la peste ?- Le journal le dit.Une stèle ou une plaque.- J'en étais sûr.Et il y aura des discours.Le vieux riait d'un rire étranglé.- Je les entends d'ici : « Nos morts.», et ils iront casser la croû-te.Rieux montait déjà l'escalier.Le grand ciel froid scintillait au-dessus des maisons et, près des collines, les étoiles durcissaient com-me des silex.Cette nuit n'était pas si différente de celle où Tarrou etlui étaient venus sur cette terrasse pour oublier la peste.Mais, au-jourd'hui, la mer était plus bruyante qu'alors, au pied des falaises.L'air était immobile et léger, délesté des souffles salés qu'apportaitle vent tiède de l'automne.La rumeur de la ville, cependant, battaittoujours le pied des terrasses avec un bruit de vagues.Mais cette nuitAlbert Camus, LA PESTE (1947)279était celle de la délivrance, et non de la révolte.Au loin, un noir rou-geoiement indiquait l'emplacement des boulevards et des places illumi-nées.Dans la nuit maintenant [331] libérée, le désir devenait sans en-traves et c’était son grondement qui parvenait jusqu'à Rieux.Du port obscur montèrent les premières fusées des réjouissancesofficielles.La ville les salua par une longue et sourde exclamation.Cot-tard, Tarrou, ceux et celle que Rieux avait aimés et perdus, tous,morts ou coupables, étaient oubliés.Le vieux avait raison, les hommesétaient toujours les mêmes.liais c'était leur force et leur innocenceet c'est ici que, par-dessus toute douleur, Rieux sentait qu'il les rejoi-gnait [ Pobierz całość w formacie PDF ]

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